La culture : véritable boîte à outils

Si on essaie de définir les expressions culturelles, on peut y voir les différentes manifestations de la créativité des individus et des groupes sociaux. C’est dire si le domaine est vaste ! En effet, ces manifestations comprennent les expressions transmises par les mots (littératures, contes, poèmes…), le son (musique, paroles…) ou encore les images (films, photos, dessins…). Les supports peuvent être nombreux : imprimés, audiovisuels, toiles, numériques…, l’œuvre peut naître d’une action : danse, théâtre… ou prendre forme à travers un objet : sculptures, tableaux, poteries…

Un artiste en plein travail, fait appel à toutes ses facultés de créativité, il est assailli d’émotions et son désir est de partager son art et sa passion avec le monde qui l’entoure. Pas de doute, Art rime avec générosité et solidarité. Depuis une vingtaine d’années, on a pris conscience que la culture était un investissement nécessaire pour assurer le fonctionnement sain de la société, qu’elle était une des clés pour transformer une citoyenneté parfois quelque peu passive en une citoyenneté active.

Alors dans quelle mesure les différentes expressions de la culture encouragent-elles un mouvement de solidarité des citoyens français ? Il est intéressant de se pencher sur les deux atouts de la culture pour la société, à savoir un outil de solidarité et un outil d’intégration.

Les expressions culturelles : un outil de solidarité

Comme a pu l’écrire Léon Bourgeois, homme d’état français et prix Nobel de la paix « La clef de la solidarité est que tout le monde participe ». Les hommes ne peuvent rester indifférents les uns envers les autres. D’ailleurs le fait de vivre tous ensemble engendre des actions de solidarité. Voilà pourquoi depuis si longtemps on fait appel de différentes manières à notre charité, à notre fraternité. C’est là qu’intervient toute la puissance de l’expérience artistique et culturelle.

Tous solidaire. Illustration provenant de Flickr par Workshop (21 août 2010). https://www.flickr.com/

Depuis une vingtaine d’année, des associations nationales de solidarité sont très présentes sur le terrain et mènent des actions pour sensibiliser les gens au partage et à l’entraide. Pour cela, elles ont recours à des manifestations d’ordre culturelles et invitent des artistes à y participer. C’est ainsi qu’en 2013 Handicap International (lutte pour l’interdiction des mines antipersonnel et des bombes à sous-munitions) a pu bénéficier de la participation de vingt trois artistes ayant créé une œuvre spécialement pour l’exposition et vendue en plusieurs exemplaires au profit de l’association.

Il y a aussi des interviews poignants : Antoine de Caunes, président d’honneur de l’association Solidarité Sida depuis vingt-cinq ans, nous parle de « Solidays », ce festival de musique existant depuis 1999 qui est un véritable village avec des artistes, des attractions, des associations, des personnalités. C’est une manifestation qui se veut singulière et dont le but est la prévention et l’information des jeunes générations dans cette lutte contre le Sida. Beaucoup de bénévoles s’investissent dans un tel spectacle et innovent chaque année pour le rendre unique et pour encourager la solidarité. En 2017, la 19ème édition était baptisée « Still Standing » c’est-à-dire « toujours debout » car on se bat encore et toujours contre cette maladie.

Logo sida. Illustration provenant de Flickr par vih sida (9 Juillet 2010). https://www.flickr.com/

Il n’est pas rare non plus qu’une œuvre artistique voit le jour à la suite d’une catastrophe naturelle. Ce fut le cas en 2005 avec la mobilisation d’une soixantaine d’artistes sous le collectif A.S.I.E (artistes solidaires ici pour eux) pour interpréter une chanson écrite par Patrick Bruel : « Et puis la Terre » au profit des victimes du tsunami de Décembre 2004 dans l’Océan Indien. La chanson met des mots sur une catastrophe en racontant l’avant, le pendant et l’après, les images sont poétiques et véhiculent des messages intenses. Difficile de rester indifférent à l’évocation d’un drame ayant fait au moins 225 000 morts. Tous ces exemples sont la preuve de la place primordiale de l’expression artistique pour favoriser un élan de solidarité.

Les associations de solidarité proposent aux citoyens de se mobiliser contre la pauvreté, elles font prendre conscience de la réalité quotidienne des personnes en situation précaire. Par le biais de la création artistique, elles mettent en place des projets favorisant l’entraide et le partage. Des bénévoles sont au rendez-vous et des citoyens se mobilisent pour faire des dons. Dans la chanson A.S.I.E évoquée plus haut, il y a un véritable message d’espoir : revivre, marcher à nouveau, fleurir, bâtir, sourire, cœur qui bat… Car avant tout, il faut faire naître un grand mouvement de solidarité. Le citoyen français touché par cette catastrophe humaine doit pouvoir s’identifier aux personnes victimes et doit croire en une reconstruction possible. La mobilisation a été inédite et l’ensemble des recettes a été reversé aux différentes associations travaillant sur le terrain.

De même, le Téléthon initié en 1987 par l’Association française de lutte contre les myopathies constitue « un dispositif de solidarisation exemplaire ». Des sociologues se sont penchés sur le concept, pour eux le pouvoir télévisuel est immense. Au cours de l’émission, tout est réuni pour que naisse une communauté solidaire. Le compteur de promesses de dons constitue le pilier de l’émission, le programme est organisé autour d’interventions, de défis, de témoignages de malades et de chercheurs. Le téléspectateur, par l’intermédiaire de personnalités connues (animateurs), est très attentif à l’évolution du comptage et se trouve encouragé à se mobiliser et à donner car alors il a l’impression de rentrer et de faire partie de cette famille de solidarité. Le spectacle télévisuel révèle là toute sa puissance car il permet « de susciter à domicile des engagements collectifs et de forger des solidarités entre anonymes ». Le citoyen conserve néanmoins sa liberté de donner ou de ne pas donner mais il est largement encouragé à le faire. On retrouve ce même phénomène de solidarité avec les restos du cœur crées en 1985 par Coluche « C’est pas vraiment ma faute si y’en a qui ont faim, mais ça le deviendrait, si on n’y change rien ».

Téléthon. Illustration provenant de Frickr par lyonenfrance (13 décembre 2014). https://www.flickr.com

Dans un autre registre, après l’attentat touchant le journal Charlie Hebdo, un logo utilisant des mots simples sur fond noir et étant particulièrement sobre se voulait être un soutien aux victimes et à leur famille. Sa diffusion a été très rapide et son utilisation a été massive sur les blogs et les réseaux sociaux et même dans le monde entier. Il s’agit là d’un formidable message de solidarité partagé par la plupart des citoyens.

Slogan « Je suis Charlie ». Illustration provenant de Flickr par Foetal (7 janvier 2015). https://www.flickr.com/

Parfois la solidarité est à l’origine de projets individuels mettant « la culture au service de l’humanisme ». C’est ainsi qu’en Haute-Garonne, un couple passionné d’arts africains reçoit au sein de sa ferme rénovée des artistes et des familles de réfugiés en les logeant dans deux de leurs appartements. Ils ont créé cette société coopérative d’art contemporain Marestaing pour promouvoir des rencontres interculturelles, artistiques et sociales. Cela répond à un besoin de générosité et de profonde solidarité et bouscule les habitudes dans cette région peu habituée à cela ! C’est à travers différents projets qu’on s’est rendu compte de l’importance de la culture comme facteur d’innovation et de créativité mais surtout comme facteur d’intégration.

Les expressions culturelles : un outil d’intégration sociale

Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations-Unies de 1948 figure le droit culturel et cela fait référence à la liberté de création et au droit d’accéder à la culture. Au niveau de l’Etat, la volonté est de rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre et de faire comprendre les pratiques artistiques et culturelles. En 1959, le président Charles de Gaulle crée un ministère autonome chargé de la mission culturelle de la collectivité, qui de 1997 à 2017 deviendra le Ministère de la Culture et de la Communication. On a alors compris qu’il fallait donner à la culture toute sa place dans la lutte contre l’exclusion. En juin 2016, dix associations nationales de solidarité ont renouvelé avec le gouvernement leurs conventions d’objectifs et cela implique leur investissement dans quatre domaines prioritaires.

Dans un premier temps, il faut transmettre un savoir, l’enfant dès sa scolarité doit pouvoir recevoir une éducation artistique et ensuite avoir accès au patrimoine architectural et artistique. Pour cela, il faut un accompagnement des acteurs culturels pour qu’ils puissent encourager des projets, favoriser des rencontres ou encore permettre à des jeunes d’être conseillés. C’est ce qui a été fait à Perpignan en 1995 alors que la ville confrontée à un contexte social difficile (chômage, délinquance, toxicomanie, précarité…) devait aussi faire face à la cohabitation de populations aux cultures différentes (maghrébins, gitans…). La DRAC Languedoc-Roussillon a encouragé la ville à mener deux projets en direction des jeunes : la création d’une salle de concert le Médiator et la Casa Musicale. Ce projet s’inscrit dans un but précis : mettre la musique et la création artistique au service de la formation et de l’insertion des jeunes. Pour son fonctionnement, on a besoin d’un réseau de partenaires relais sur le terrain, d’animateurs dans les quartiers comme Djamel, 32 ans lui-même issu des quartiers défavorisés et qui n’a pas hésité à quitter son travail de chauffeur-livreur pour s’occuper des jeunes « j’allais voir les jeunes et je leur disais que rien n’était impossible ».

Dessin Solidarité. Photographie provenant de Flickr par Alexandra Rougeron (31 mai 2018). https://www.flickr.com

Dans un deuxième temps, il faut bien avoir conscience que cela n’est possible que si la langue française est maîtrisée, si l’accès au numérique est facilité et si le jeune a appris à consulter des informations.

Le troisième axe prioritaire est d’être un citoyen responsable avec des droits et des devoirs, la culture est mise au service des valeurs républicaines car elle enseigne aussi le respect des autres cultures, des autres religions ou opinions. On lutte ainsi contre les discriminations. Le programme « Citoyens de la culture » permet d’accompagner les bénévoles volontaires du service civique.

Le dernier point est le développement territorial car il faut se soucier du public éloigné de la culture pour des raisons géographiques, sociales ou économiques (milieu rural, quartiers défavorisés excentrés, handicapés, malades hospitalisés…). C’est là que depuis plusieurs années le Secours Populaire remplit sa mission. En effet, cette association désire inscrire la culture comme une de ses priorités. Il est essentiel que les personnes défavorisées aient accès à la création artistique. Pour cette raison, de nombreux projets sont mis en place au sein des fédérations françaises comme des ateliers d’écriture intergénérationnels à Lyon, des pièces de théâtre par exemple en Seine St Denis avec « le songe de Juliette » adaptée de Roméo et Juliette de Shakespeare et mettant en scène deux hommes pour traiter de l’homosexualité. Par ce biais des ateliers créatifs, on facilite l’accès des personnes défavorisées à la culture sous toutes ses formes. Ceci permet de sortir de l’exclusion en s’intégrant dans un groupe, « d’exprimer sa relation au monde », de rencontrer des artistes professionnels et bien sûr de sortir de l’isolement. Ces personnes peuvent dépasser leurs difficultés quotidiennes et bénéficient du changement du regard de la société. On crée une nouvelle forme de solidarité culturelle !

Secours Populaire Français. Photographie provenant de Flickr par Orange RockCorps (12 Octobre 2013). https://www.flickr.com/

Finalement

Les créations artistiques ne peuvent qu’engendrer un élan de solidarité et celui-ci semble se renforcer depuis une vingtaine d’années. On n’a aucun doute sur l’importance de la culture au sein de la société comme outil de générosité et d’intégration. Malgré tout, il existe des barrières à cette solidarité pour des raisons financières. En effet, l’accès à la culture et à la pratique artistique représente un coût important et ce n’est pas la priorité pour l’action sociale. Il y a d’autres besoins comme l’hébergement, la santé, l’alimentation ou encore l’emploi. D’un autre côté, on assiste à une auto-censure des personnes en situation précaire, qui peuvent ne pas oser frapper à la porte des associations de peur de se retrouver une nouvelle fois face à l’échec dans le cadre d’une activité artistique. Cependant, on peut féliciter l’initiative d’associations comme Artstock qui a eu l’idée d’une économie circulaire en recyclant des décors d’opéra ou de théâtre pour les proposer à de petites structures et pour créer des emplois. Voilà un coup de pouce à imiter pour éviter de jouer l’acte final de cet élan de solidarité !

Bibliographie :

 

Fanélie DORMENVAL

 

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